Devant le mur blanchi, il s’endort sur sa vie,
Son corps penché, et droit, tenu par la chaise
Montre que dormir assis le met à l’aise.
Il prend trois points d’appui, tous trois dans les tons gris.
Son coude sur la table est son meilleur vassal
Contact avec le sol, son pied stabilisé
Permet à l’autre pied d’errer tout à son gré
Son index lui donne l’équilibre final.
Malgré sa coupe rase aux tenaces épis,
Ses cheveux ondulés, non tassés par les ans
Ont gardé leur fraîcheur, ont acquis dans le blanc
La vieillesse mêlée de vivace énergie.
Les rides et les plis du front et du menton
Sont signes évidents de son âge avancé.
Sur sa chemise blanche, il a un col roulé
Contre le froid des ans ou contre la saison.
A vous, observateur, ce visage serein
Paraît vide ou plein selon que son sourire
Semble peuplé ou non de rêves. L’avenir
Pour cet homme a un sens incertain.
Si son cœur au repos ne peut être troublé
C’est qu’il dort simplement du sommeil du juste,
Hors du temps, sans passion, sans souci, auguste,
Rien ne pourra venir le réveiller.
Il dort ou il rêve, le principal acteur
de ce fond de café, désert de ses buveurs.
C’est le dépouillement, plus aucun compagnon,
Ni vie, ni cris, ni chants, ni rires au fin fond
De ce café banal de campagne, austère
Qui, pour autant, n’a rien perdu de son mystère.
Le rayon de soleil de fin d’après-midi
A caressé sa jambe ainsi que son sourcil.
Il est allé lécher, le long du mur caché
cet amoncellement de chaises usagées.
Voyez comme elles sont, dans leur simplicité,
Belles ces chaises dont on ne compte les pieds.
Des chaises à l’endroit aux chaises à l’envers
Ce coin d’établissement forme un univers.
Leur passé, leur présent, leur destin, leur beauté
Tient dans le fait même de leur utilité.
On les a rempaillées, ficelées, remboîtées.
Elles serviront encore et puis seront brûlées.
Elles sont toutes identiques et chacune est unique.
Comparez-les à des notes de musique
Blanches ou noires, ici c’est paille ou bois
Chacune donne un son et impose sa loi.
Si vous passez par là, ne manquez pas d’entrer
Essayez de marcher sur la pointe des pieds
Choisissez une chaise et vous y asseyez
Puis, armé de patience, attendez et veillez.