Bobillette

A côté de la plaque

Par Ariane Chalant

Publié le 4 juin 2025

Par un frais mardi matin de fin d’hiver, ma sœur chérie est là pour quelques jours. Nous devisons lorsqu’un coup de sonnette tinte. Un gendarme se présente :

– Excusez-nous, madame, connaissez-vous une certaine … ?

– Oui, Bonjour Monsieur, c’est moi, de quoi s’agit-il ?

Ils sont trois, venus là à tout hasard, dit-il :

– Vous êtes fichée et recherchée par toutes les polices de France pour usurpation de plaque d’immatriculation. Pouvez-vous nous montrer votre véhicule, Madame ?

Je suis pour le moins étonnée et les emmène dans le garage. Ils font le tour de la voiture. Je suis intriguée, j’attends qu’ils me disent de quoi il s’agit exactement car je n’ai toujours pas compris. L’un dicte, l’autre note : marque, ok ; Série 1, ok ; N° d’immatriculation…… ok. Ils me demandent ma carte grise que je vais chercher.

Je constate avec stupeur, avec eux et en même temps qu’eux que le numéro de ma plaque avant n’est pas le même que sur la carte grise WN …WM ! Une seule explication me vient à l’esprit : une erreur de Norauto lorsqu’ils m’ont mis la plaque il y a trois ans sauf que… en l’espace de dix jours entre le 12 et le 22 octobre dernier, j’ai été flashée deux fois pour excès de vitesse et j’ai eu un PV de stationnement. De mieux en mieux ! Je l’ignorais complètement.

Ils ont été tout à fait courtois, ont vu très vite, je pense, que j’étais aussi sidérée que de bonne foi. Ils m’ont convoquée le lendemain à 10 h à la gendarmerie. Je n’en revenais pas. 

– Comment êtes-vous remontés jusqu’à moi ? 

– Un Monsieur qui habite Lacourt St Pierre (d’où la gendarmerie de Grisolles), possédant une Mercédès Classe A, a reçu coup sur coup une première verbalisation pour excès de vitesse, puis une seconde puis un PV de stationnement. Il a d’abord porté plainte pour usurpation de plaque d’immatriculation. A la troisième notification, il est allé à la Préfecture faire changer son numéro d’immatriculation ! C’est comme ça que votre voiture flashée, est recherchée, et sur tous les fichiers de polices de France depuis le mois d’octobre, depuis la plainte de ce monsieur.

Autrement dit depuis presque cinq mois ! Je n’en reviens pas.

– Et ensuite ?

– Pour remonter la piste, nous sommes d’abord allés chez Nissan où le monsieur avait acheté sa voiture pour nous assurer qu’ils n’avaient pas délivré deux plaques similaires. Vérification faite, ce n’était pas le cas. Nissan nous a suggéré de passer chez BM qui était le garage à côté. Nous y sommes allés. BM avait bien une voiture immatriculé WN mais la cliente habitait Paris ! 

Je pense tout à coup que lorsqu’un garage prend en charge une voiture pour un contrôle quelconque, il relève le numéro d’immatriculation sur la carte grise, pas sur la voiture. Je n’en suis pas sûre, je ne sais pas.

– Compte tenu des lieux d’infractions, nous avons pensé que ce parisien ou cette parisienne pouvait avoir une résidence secondaire dans le coin. Le premier radar a flashé dans le département 74, le 12 octobre entre Voiron et Lausanne, 117 pour 110 ; mais le second le 18 octobre sur la route de St Nauphary dans le sens Albi Montauban, 96 pour 90 et la troisième infraction était un stationnement sur le trottoir de la rue du Lycée à Montauban le lundi 22 octobre.

Je me souviens, en une fraction de seconde, de ce retour épouvantable de Venise après avoir passé à l’aller quelques jours délicieux à Coublevie puis à Morges. Bernard m’avait dit : Nous ne sommes pas pressés. Et nous avions fait l’école buissonnière, passant par Saint Hippolyte du Fort, lieu d’installation d’un membre de sa famille dans un siècle antérieur, le cirque de Navacelles, des coins à lui qu’il était si content de partager et le plaisir que j’en avais éprouvé. Mais je me souviens aussi que je commençais à fatiguer à force de détours, seul conducteur à bord depuis le matin. Nous avions déjeuné dans un petit village ravissant. C’est après, en fin d’après-midi, que le retour avait été éprouvant. Nous avions trouvé du vent d’autan, un vent à décorner les bœufs. Je me cramponnais au volant avec la trouille qu’une grosse branche ne tombe sur la voiture ou juste devant car on en voyait tomber. Le jour baissait et il voulait encore faire une halte. J’ai résisté, il n’était pas content. Nous avons fini par arriver à bon port à 23 heures passées ! J’étais fourbue de tension et de fatigue, les épaules comme un morceau de bois pétrifié, si contente d’être rentrés au bercail sains et saufs. Les deux dernières heures avaient été vraiment très pénibles. L’épisode est comme un flash de moins d’une seconde dans la tête. Je n’ai pas quitté le fil de l’échange !

Les gendarmes ont ensuite tout simplement cherché dans l’annuaire, et ils ont trouvé le nom de Bernard ! Quand ils disaient qu’ils venaient à tout hasard c’est parce que, disaient-il, ils ne savaient jamais ce qu’ils allaient trouver ou si même ils allaient trouver quelque chose. Ils s’attendaient aussi bien à tomber sur un trafic de plaques dans un hangar apparemment désaffecté, ce qui arrivait aussi.

J’ai demandé au gendarme de m’excuser auprès du monsieur pour le désagrément causé, ce qu’il a fait le soir même et le lendemain, il m’a transmis que « Le monsieur acceptait mes excuses, soulagé de savoir que cela procédait d’une erreur et non pas d’un trafic ».

Le lendemain donc, avant d’aller à la gendarmerie, nous sommes passées, ma sœur m’accompagnait, chez Norauto. Ils m’ont immédiatement changé les plaques gratis et le chef d’atelier m’a fait sans sourciller l’attestation que je lui demandais, sous couvert de la gendarmerie (qui ne m’avait rien demandé) mais sur le conseil de Bernard. J’ai aussi gardé les anciennes plaques que j’ai remises aux gendarmes, qui ne savaient qu’en faire !

A la gendarmerie :

– Reconnaissez-vous les infractions ?

– Le stationnement rue du Lycée, oui, le reste je n’en sais rien.

Je me souviens très bien que je devais déposer des livres chez Mimi et que ne trouvant pas de place, je m’étais posée là. Je ne suis pas restée plus de dix minutes mais j’étais néanmoins en infraction… En tous cas, je n’avais eu aucun papillon sur mon pare-brise. J’ai ajouté :

– Peut-être n’aurais-je pas dû reconnaître l’infraction ? 

Le capitaine a souri :

– Nous ne nous occupons pas des infractions routières. Nous transmettons au Ministère de l’Intérieur. Il est possible, mais pas sûr, qu’ils clôturent l’affaire à cause de cette confusion de plaque.

A la fin de l’audition, le capitaine nous a demandé de patienter dans l’entrée de la gendarmerie, nous disant qu’il avait juste un coup de fil à passer. Nous blaguions, ma sœurette et moi, nous parlions de tout et de rien, d’autre chose. Je me sentais tout à fait légère et guillerette. Le capitaine est revenu et s’adressant à moi un peu solennellement :

– Vous êtes innocentée, le procureur ne retient rien contre vous. Il m’a dit de passer un soufflon à Norauto car c’est une faute professionnelle grave qui peut avoir de lourdes conséquences.

Une envie de rire m’a prise, difficilement répressible. C’est seulement dans l’après-coup que j’ai pris conscience que j’étais dans une affaire qui aurait pu être fâcheuse. J’ai traversé tout cela le sourire aux lèvres, l’innocence même. Le gendarme a refait le tour de ma voiture et m’a fait remarquer que ma nouvelle plaque était fissurée ! Penser à leur montrer la semaine prochaine quand j’irai pour mes plaquettes de freins avant.

Pour les contredanses, à suivre. C’est peut-être fini et peut-être non. Tout cela nous a occupés un mardi après-midi et un mercredi matin, autrement dit vingt-quatre heures de la vie d’une voiture !

Je n’ai plus jamais eu de nouvelles.