De retour d’une semaine chaleureuse et festive pour le fêtes de fin d’année, je me pose, contente d’être rentrée chez moi. Je me sens patraque sans plus.
Dans la nuit, vomissements, vertiges, douleurs dorsales et lombaires.
Dimanche, impossible de me lever sans m’accrocher, les murs tournent. Toux tantôt sèche tantôt grasse, douleurs persistantes auxquelles s’ajoute un mal de crâne épouvantable avec des élancements incessants dans les tempes. Dimanche et lundi, impossible de rien avaler, un simple Doliprane avec une gorgée d’eau provoque un haut-le-cœur suivi d’un vomissement immédiat.
Mardi, enfin, un Doliprane a tenu mais ni celui-là ni les deux suivants pris à six heures d’intervalle n’ont apaisé ces élancements temporaux douloureux et éprouvants qui descendent dans les pommettes. La toux et le mal de gorge se sont améliorés avec les huiles essentielles. Je tiens à peine debout et les douleurs dorsales et lombaires sont violentes dès que je me lève. En revanche, je ne me sens pas fiévreuse. La toux revient par quintes nourries et prolongées.
Dans la nuit de mardi à mercredi, les quintes de toux répétées m’empêchent de dormir. Les huiles essentielles les apaisent un moment puis les quintes reprennent. Au petit matin, s’ajoute une difficulté respiratoire et un essoufflement instantané au moindre effort. Le simple fait de me lever provoque cet essoufflement en même temps que le retour des vertiges. Je ne tiens pas debout sans que tout tourne autour de moi. Je me sens tellement mal que me traverse fugitivement l’esprit que je pourrais mourir sur place, là, tout de suite, de je ne sais trop quoi. Je ne peux pas rester dans cet état mais je ne sais que faire.
Me vient alors à l’esprit une idée que je trouve mauvaise mais qui s’impose à moi. Écrire à mon médecin traitant comme un dernier recours. J’ai son numéro de portable. J’appuie sur le bouton du SMS en espérant qu’il n’ait pas son téléphone mobile avec lui car il est 5 heures du matin !
Mercredi 8 janvier
Bonsoir et Bonne année,
J’espérais bien éviter de vous déranger mais je n’en peux plus…
La réponse arrive trois heures plus tard. Il est absent.
Dans la matinée, je tente d’appeler un médecin du quartier, pas disponible. Je me sens tellement mal que je me résous à appeler SOS médecins. Dans un premier temps, après m’avoir écoutée, mon interlocuteur me demande d’appeler le SAMU. Je refuse poliment et dis à mon interlocuteur que je vais me débrouiller autrement. Évidemment que je ne sais pas comment car je n’ai aucune solution dans la poche. A peine un quart d’heure plus tard, SOS médecins me rappelle, la même personne me dit qu’elle me passe un médecin ! Consultation téléphonique. Au bout de quelques minutes, le médecin au bout du fil me dit : “Je vous envoie un médecin“. Je suis soulagée. Je n’avais aucune idée de quoi faire en pareille circonstance. Pourquoi n’ai-je à aucun moment appelé le SAMU ? Je l’ignore. Je n’y ai même pas pensé ! Une idée sous-jacente tenace qu’ils sont trop souvent dérangés pour pas grand chose !
Le médecin arrive en début d’après-midi. Après les questions d’usage, il m’ausculte et presqu’aussitôt me dit qu’il descend chercher dans sa voiture de quoi faire un électrocardiogramme. En cour d’ECG, il me dit qu’il appelle une ambulance, hospitalisation immédiate. Le cœur bat la chamade de façon tout à fait désordonnée.
Une demi-heure plus tard, il est 14h30, accompagnée de deux gaillards, je descends de chez moi sur mes deux pieds. Une ambulance attend devant la porte. J’arrive quelques minutes plus tard dans cet univers improbable qu’est un couloir d’urgences d’un hôpital parisien.
Les premiers soins… On me fait tout de suite entrer dans une petite pièce, plus grande qu’un box, vide, hormis deux chaises, une table sur laquelle est posé un ordinateur et dans un coin, différentes machines. Une infirmière branche la machine pour un électrocardiogramme. Elle va et vient pendant que la machine travaille. Arrive un jeune interne qui prend mille précautions à la fois dans la conduite de l’entretien et dans l’examen clinique. Il est très appliqué ! Cela me paraît durer une éternité. A un moment, il me dit qu’il doit demander des consignes pour la conduite à tenir car il ne sait que faire d’une info que je lui ai transmise. Quand il revient, je l’interroge sur son parcours, et le fait qu’il soit là depuis peu ? Il se raconte volontiers, comme soulagé. Il est en quatrième année de médecine. Ce sont ses premiers jours dans un service d’urgence et il ne sent pas pas assuré. Il ne sait pas encore quelle spécialité il choisira à la fin du cursus général. Heureusement, il a un peu de temps. Je le sens et le vois se détendre au fur et à mesure qu’il parle. Et cela lui fait prendre un peu d’assurance. Il reprend la consultation plus décontracté. Il a rempli une feuille entière de notes manuscrites qu’il va soumettre aux médecins de garde. Je ne me sens pas bien, j’aimerais m’allonger. Une infirmière entre me faire un nouvel ECG. L’une ou l’autre, viennent régulièrement prendre ma tension.
A l’issue de cette consultation, je suis invitée à rejoindre la salle d’attente. C’est un couloir bordé d’une douzaine de chaises, fixées au sol ou au mur, de part et d’autre, pas toutes en état de fonctionnement. Certaines chaises en mauvais état sont recouvertes d’un ruban adhésif rouge et blanc collé en croix sur le siège. Le passage entre les deux rangées de chaises est suffisamment étroit pour avoir à replier ses jambes à chaque passage d’un brancard, dans un sens ou dans l’autre. A une extrémité du couloir, après un croisement avec une allée plus large, un grand espace se déploie dont l’essentiel de la surface est occupé par des brancards sur lesquels reposent des patients plus ou moins calmes ! Ça déborde de partout, proximité et promiscuité. Au bout du passage étroit, une double porte donne sur un autre passage identique et plus long, environ trente chaises, au bout duquel une autre double porte ouvre sur un couloir perpendiculaire. Je suis posée sur une de ces chaises en bois et commence à égrener les heures.
Comme le médecin de SOS Médecins m’a dit de prévoir deux à trois jours d’examens et donc d’hospitalisation, j’ai un sac à dos conséquent. C’est un avantage pour les ressources dont je dispose, ordinateur, bouquin en plus du téléphone car l’attente promet d’être longue. C’est un inconvénient à chaque fois que je bouge car le sac pèse. Or, j’ai très vite compris que je ne serai pas hospitalisée faute de lit disponible. Je me me sens mal dans un corps douloureux de façon globale et imprécise, à part les élancements du crâne qui m’obligent à fermer les yeux et me tenir la tête entre les mains à chaque poussée.
Régulièrement, peut-être toutes les heures, ou moins ? quelqu’un vient prendre ma tension sur place, dans le couloir et toutes les trois ou quatre heures, je ne sais pas exactement, on me fait un électrocardiogramme. En cours de route, j’ignore à quelle heure, un médecin vient me trouver pour m’expliquer qu’en plus d’une crise d’arythmie sévère que manifestement je tolère bien, mon cœur ne ralentit pas et qu’on va donc me donner un cachet à prendre. Quelques instants plus tard, une infirmière vient vers moi avec un verre d’eau et un comprimé sous blistère qu’elle extrait dans ma main. Je reprends ma lecture. Le temps passe sans que j’en aie aucune notion. Je continue à bouquiner, plongée dans “Ce que je sais de toi“ d’Éric Chacour, humainement bouleversant.
Un infirmier m‘invite à le suivre dans les sous-sols labyrinthiques de l’hôpital. Il a la gentillesse de porter mon sac. J’ai la tête qui tourne et, en même temps, bouger un peu, marcher, me fait du bien. Il m’emmène faire un scanner du crâne pour tenter de décoder de quelle nature sont les élancements temporaux. Attente, même dans ce service spécialisé, même à cette heure avancée de la nuit, service continu 24/24. Au terme d’un temps que je suis incapable d’évaluer, je passe le scanner. Le radiologue ne retient rien de notable. Il m’annonce une “bonne nouvelle“, je ne suis pas en train de faire un AVC !
Raccompagnée à travers les couloirs et les étages jusqu’au service des urgences, je me rassois. Un peu plus tard, une infirmière vient faire un nième ECG sur place, sans même me faire entrer dans un bureau, au milieu des autres patients, heureusement un peu moins nombreux à cette heure avancée de la nuit.
Plus tard encore, un médecin vient me dire que je vais rentrer chez moi, que la crise est passée.
Hop, hop ! Vous pouvez circuler, il n’y a plus rien à voir. Je pose la question de l’infection montrée par l’analyse de sang car, outre mon cœur fou, je suis arrivée malade et je sens bien que je le suis toujours. La toubib me dit que je verrai ça avec mon médecin traitant et me demande dans la foulée :
« Comment rentrez-vous chez vous ? »
Je n‘en crois pas mes oreilles ! Je viens de passer douze heures dans un couloir d’un service d’urgences, il est 2h30 du matin, je suis épuisée et malade et je suis supposée rentrer chez moi, tranquillement ?
« Je n’ai pas de moyen de rentrer et je ne me sens pas d’aller chercher un vélo ! «
Cela la fait à peine sourire. Elle disparaît.
Finalement, je rentre comme je suis venue, en ambulance, après avoir remercié le médecin et les infirmières pour leurs bons soins. Le médecin me dit qu’elle, et le personnel soignant auquel elle transmettra, y est d’autant plus sensible que c’est loin d’être toujours le cas. Ils sont même rarement remerciés et parfois mis à mal. Je pense que malgré les conditions spartiates de l’accueil, j’ai été surveillée comme le lait sur le feu, pas lâchée d’une semelle, très bien traitée humainement. Nous nous remercions mutuellement !
Arrivée chez moi, je m’écroule littéralement, je me sens au-delà de l’épuisement. Je continue cependant à avoir un corps douloureux, articulations, toujours cette épaule droite de façon aigüe, lombaires, jambes, mal de crâne, quintes de toux, nausées, crampes et compagnie, et peut-être fièvre car je me sens maintenant fébrile.
Toute la fin de semaine, je suis dans un état second, terriblement faiblarde. Je sors, au radar. La semaine suivante, arrive enfin mon rendez-vous avec mon médecin traitant. Je lui transmets le dossier de la Salpêtrière.
La consultation est mémorable. Je ne l’ai jamais vu dans cet état. Il est en colère, très en colère, contre moi d’abord, contre la Salpêtrière ensuite.
– “Ne refaites jamais ça, un message à 5 heures du matin ! …
– Je m’excuse, je ne recommencerai pas ! Tout en envoyant le message, j’espérais que vous ne gardiez pas votre téléphone avec vous la nuit.
– Avec des enfants aux quatre coins du monde et des patients mal en point, je garde mon téléphone…“
Il est debout, marche dans le bureau, il essaie de se calmer mais il est vraiment furieux. Puis il passe à la Salpêtrière. Il a regardé les papiers que je lui ai apportés. Il dit :
– “Je crois rêver ! Laisser dans la nature une dame avec 14.000 leucocytes, non, ce n‘est pas possible… Ben voyons, que votre médecin s’en débrouille…
Il est bientôt à court de mots pour exprimer son indignation.
– J’ai eu l’impression d’être bien surveillée et bien soignée.
– Bien surveillée, sûrement, il craignaient que vous ne fassiez un AVC. Ils n’aiment pas ça. Vous avez été au bord de l’arrêt cardiaque, ils ont paré au plus pressé. Un patient qui trépasse dans le couloir des urgences, ça fait mauvais effet ! Pour le reste, l’infection était le cadet de leurs soucis… Ben, voyons, il y a le médecin traitant !“
Pendant cet épisode, j’ai été traversée par la sensation qu’il n’était pas réellement en colère, comme s’il “devait“ s’indigner mais qu’il connaissait cette situation, qu’en tout état de cause, il n’était pas surpris. Il avait déjà vécu ça.
Les choses ont ensuite repris leur cours normal. Redevenu égal à lui-même le médecin préconise, en tout premier lieu, de nettoyer l’infection pulmonaire massive dont je souffre, d’envisager dans une second temps un bilan cardiologique complet. En attendant, il me prescrit antibiotique et cortisone à hautes doses, en plus des médicaments pour le cœur, bêtabloquants et anticoagulants prescrits par la toubib de l’hôpital.
Sur le pas de la porte, il ajoute en souriant :
“Ne recommencez jamais ça, sauf… si vous être en train de mourir.“
Je rentre chez moi vannée. N’ais-je pas eu fugitivement la sensation de mourir cette nuit-là ?